L’article L.600-1-2 du code de l’urbanisme aura, ces dernières années, fait l’objet de nombreuses décisions remarquées du Conseil d’Etat et des juridictions du fond.
Pour mémoire, l’article L.600-1-2 encadre l’intérêt à agir des requérants en précisant que « Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ».
Dans un premier temps, le Conseil d’Etat avait précisé le contenu de la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur pour prouver son intérêt à agir. Le demandeur doit faire « état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que [l’atteinte qu’il allègue] est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien »). Le Conseil d’Etat précisait que le défendeur pouvait alors « apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ». Le juge quant à lui, devait ensuite « former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque […] » (CE 10 juin 2015, M. Brodelle et Mme Gino, n°386121).
Cette jurisprudence a priori claire n’est pas d’une application aisée et les juridictions du fond ont parfois eu du mal à se positionner compte tenu de l’apparent renforcement des exigences de démonstration de l’intérêt à agir.
Précisant sa jurisprudence, le Conseil d’Etat est d’ailleurs venu censurer une ordonnance du Tribunal administratif de Marseille. Le Conseil d’Etat a considéré que « eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction » (CE 13 avril 2016, M. Bartolomei, n°389798).
Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat censure à nouveau des ordonnances de rejet pour défaut d’intérêt à agir des requérants, cette fois rendue en matière de permis de construire modificatif. (CE 17 mars 2017, n°396362).
Rappelant les principes dégagés dans ses deux précédentes décisions, le Conseil d’Etat précise que « Lorsque le requérant, sans avoir contesté le permis initial, forme un recours contre un permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé ».
En l’occurrence, en refusant tout intérêt à agir aux voisins immédiats à l’encontre d’un permis de construire modificatif « alors [que les requérants] avaient établi être propriétaires d'une maison à usage d'habitation située à proximité immédiate de la parcelle d'assiette du projet et avaient produit la décision attaquée, de laquelle il ressortait que le permis litigieux apportait des modifications notables au projet initial, affectant son implantation, ses dimensions et l'apparence de la construction, ainsi que divers clichés photographiques, pris depuis leur propriété, attestant d'une vue directe sur la construction projetée » le Conseil d’Etat considère que la Présidente de la 1ère Chambre du Tribunal administratif de Toulon a « inexactement qualifié les faits de l’espèce ». En conséquence, le Conseil d’Etat annule les ordonnances attaquées et renvoie l’affaire au Tribunal administratif de Toulon.
Il ressort de cette décision que des voisins immédiats d’un projet autorisé faisant l’objet d’un permis de construire modificatif ont intérêt à agir contre cette décision si, d’une part, ils établissent avoir des vues sur le projet et, d’autre part, le permis de construire modificatif conduit à des modifications notables affectant l’implantation, les dimensions ou l’apparence de la construction.
Cette nouvelle annulation du Conseil d’Etat pourrait conduire certains juges à prendre des précautions supplémentaires avant de rejeter des recours pour défaut d’intérêt à agir des requérants.